Qui gouverne l’Europe ?
par Lucien Weiler, Président de la Chambre des Députés
Les crises financière et économique ont, paradoxalement, eu une conséquence bénéfique : elles ont souligné que les défis mondiaux nécessitent une action concertée des 27 membres de l’Union européenne. Pour réussir, il est crucial que chaque acteur — tant les institutions européennes que les États nationaux — assume pleinement son rôle tout en respectant les prérogatives des autres. Cependant, cette coopération semble simple en théorie mais se révèle complexe en pratique.
Le Traité de Lisbonne apporte de nombreuses réponses à notre aspiration pour une Europe démocratique, efficace et fidèle à ses valeurs fondamentales. Néanmoins, il laisse encore plusieurs questions en suspens, notamment celle de savoir qui gouverne réellement l’Europe.
Dans un monde de plus en plus globalisé, il est essentiel que l’Europe renforce sa capacité d’action. Nous constatons que le Président du Conseil européen est censé offrir à l’Union à la fois continuité et représentation, tandis que le Président de la Commission européenne dispose d’un pouvoir d’initiative important et d’un appareil administratif conséquent. Le Haut représentant pour les Affaires étrangères, également Vice-président de la Commission, détient un pouvoir stratégique supplémentaire, tout comme le Président de la Banque centrale européenne et celui de l’Eurogroupe. En plus, le Chef de l’État exerçant la Présidence reste une figure centrale, avec la présidence tournante maintenue.
Ce schéma révèle les tensions sous-jacentes dans la construction européenne, entre les États soucieux de préserver leurs pouvoirs, les fédéralistes et les souverainistes, ainsi qu’entre les grands et petits pays, et les anciens et nouveaux membres. Dans ce compromis institutionnel, les compétences des différentes institutions sont encore floues. Le Traité de Lisbonne n’est pas très clair sur la délimitation des rôles et responsabilités des uns et des autres. Par exemple, quel sera le rôle du futur Président du Conseil européen ? Sera-t-il simplement un organisateur de réunions, ou un leader capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale ? Quel sera le rôle exact du Haut représentant pour les Affaires étrangères et celui du Président de la Commission ?
Il reste donc de nombreux points à clarifier pour établir une direction européenne efficace et reconnue à l’échelle mondiale. Un aspect crucial est que l’équilibre dans le nouveau système institutionnel ne doit pas se faire au détriment de la Commission européenne, qui est la clé de voûte de l’Union en raison de son caractère supranational. Pour progresser vers une intégration plus profonde, il est vital que la Commission continue de jouer un rôle de force de proposition au-delà des intérêts nationaux. Elle ne doit pas être réduite à un simple gardien des traités, mais doit conserver un rôle d’impulsion politique.
L’actuel Président de la Commission européenne soutient un concept qui semble essentiel pour avancer, à savoir une politique de partenariat si nécessaire, tout en étant critique avec les États membres et en favorisant un partenariat constructif entre les différentes institutions. Les institutions européennes ne doivent pas se concurrencer mais se renforcer mutuellement. Plus les institutions sont fortes, plus l’Union européenne sera forte.