Le couple franco-allemand,
au cœur de la relance
du projet européen

Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir comment l’Europe peut progresser ; elle est de savoir comment nous pouvons la sauver. La génération de nos grands-parents a été visionnaire et a construit l’Europe, celle de nos parents l’a faite évoluer et prospérer. Notre génération a désormais la lourde responsabilité de la réinventer.

Le diagnostic sur l’Union européenne s’étale à l’envi ; on en oublie trop souvent les avancées majeures pour souligner l’incapacité européenne à gérer, aux yeux des opinions publiques, les problèmes de notre temps, avec une parole populiste qui s’en délecte. De fait, le modèle actuel avec des règles d’unanimité à 27 paralyse notre action. Le diagnostic économique est tout aussi inquiétant quant à l’avenir de la zone euro qui connaît, malgré son intention première de convergence, une réalité de divergences des économies nationales. Et partager la même monnaie avec des modèles qui divergent n’est pas une voie pérenne.

Il est donc de notre devoir d’identifier des solutions que les Institutions européennes actuelles peinent à trouver et qu’un État seul ne peut mettre en œuvre. Dans un contexte aussi perturbé, confronté à autant d’incertitudes, le couple franco-allemand a un rôle majeur à jouer. Car si la convergence à 19 au sein de la zone euro est en panne et si aucun mécanisme institutionnel actuel ne peut y répondre, nos deux pays ensemble, eux, peuvent agir concrètement. Ils en ont même la responsabilité, comme ils l’ont fait à l’époque des pères fondateurs.

Il se trouve qu’en dix-huit mois, l’axe franco-allemand a connu des avancées majeures, avec une dynamique nouvelle. J’ai eu la chance de contribuer à cette dynamique à plusieurs titres : en tant que membre du Groupe de travail franco-allemand, chargé, en janvier 2018, d’une initiative, pour rapprocher nos actions parlementaires, en tant que Vice-président de l’Assemblée nationale, lorsque les Bureaux ont validé ces propositions, ainsi qu’au travers de deux Rapports : l’un, commandité par le Premier ministre sur le transfrontalier et l’autre, relatif à l’avenir de la zone euro.

Dans un contexte perturbé, confronté

à autant d’incertitudes, le couple franco-allemand

a un rôle majeur à jouer…

L’impulsion à ce nouvel élan franco-allemand a été donnée le 22 janvier 2018, par Emmanuel Macron et Angela Merkel dans les domaines économiques, numériques et environnementaux notamment et de le transcrire dans un Traité renouvelant le Traité de l’Élysée signé 55 ans plus tôt. En parallèle, les Présidents du Bundestag et de l’Assemblée nationale ont décidé de rapprocher nos deux Parlements et ont confié une mission à un Groupe de 18 Députés, 9 Allemands et 9 Français dont j’ai fait partie.

J’ai été mandaté pour travailler sur le volet transfrontalier de ce Traité, peu développé dans le texte d’origine, au travers de mon Rapport au Premier ministre. J’ai formulé six propositions pour « innover au cœur de l’Europe », dont quatre ont été reprises dans le Traité signé le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle…

La première d’entre elles consiste à confier la stratégie d’apprentissage de la « langue du voisin » à une collectivité de proximité, afin de permettre une imbrication concrète et efficace des politiques de jeunesse et d’accès à l’emploi. Un pilotage local de l’apprentissage de la langue du voisin, ici de l’allemand, en liaison avec l’Éducation nationale, mais en pleine responsabilité, serait un moyen de répondre réellement aux enjeux du territoire.

La seconde proposition est d’identifier des projets d’intérêt transfrontaliers de manière conjointe, afin d’établir les priorités de développement en la matière, avec un objectif : se projeter dans l’économie de demain. Ces projets feront l’objet d’une priorisation actée par les États et les collectivités locales au service des régions transfrontalières franco-allemandes, afin qu’elles deviennent un espace de référence en la matière, au cœur de l’Europe.

La troisième des propositions consiste à s’attaquer aux irritants du quotidien pour les habitants frontaliers. Il s’agit de problèmes nés de différences entre nos deux droits qui compliquent la vie des citoyens frontaliers en matière d’accès aux soins, de développement économique, d’emploi, etc. Une « task force », constituée des pouvoirs règlementaires – avec un Préfet transfrontalier –, législatif – avec trois Députés – et exécutif local, permettra d’identifier la meilleure réponse à mettre en œuvre au plus proche du terrain.

Enfin, la quatrième proposition concerne le lien entre le transfrontalier et le national. Le premier constitue un véritable « laboratoire » pour le second : corriger les irritants du quotidien nés de la friction entre nos deux droits permet d’identifier les écarts et de s’interroger, voire de décider l’harmonisation de nos deux droits.

J’ai continué de me forger cette conviction que le couple franco-allemand peut être le moteur de la relance du projet européen, lors de la rédaction d’un Rapport sur l’avenir de la zone euro. À nouveau, j’ai tenté de formuler des propositions concrètes pour progresser vers la stabilité, la convergence et la compétitivité. De ce travail, a émergé une idée forte, en relation avec le moteur franco-allemand : le concept de « convergence parallèle ». Cet oxymore repose sur l’idée que la France et l’Allemagne, si elles s’accordent sur une cible de convergence, peuvent créer, de facto, un nouveau standard auquel d’autres pays européens peuvent se greffer. Il s’agit, en quelque sorte, d’une convergence que les deux pays mèneraient en parallèle, sur la seule motivation de leur volonté commune d’harmonisation. L’enjeu alors est évidemment que le couple franco-allemand parvienne à fédérer plusieurs pays européens autour de lui, dans une logique de « mieux-disant » par rapport au droit européen qui, lui, ne parvient pas à mettre en œuvre cette convergence.

Cette convergence pourrait d’abord concerner les sujets liés à l’environnement règlementaire des entreprises. En la matière, Un Code des affaires franco-allemand pourrait en découler afin que les entreprises françaises et allemandes soient soumises à des règlementations harmonisées, ce qui faciliterait leur développement de l’autre côté du Rhin. Une initiative en la matière existe déjà à l’origine de la société civile, pilotée par deux-cents juristes français et allemands bénévoles et vise à proposer un véritable Code franco-allemand des affaires puis, dans son sillage, un Code européen des affaires.

C’est dans ce contexte favorable qu’est né le projet d’Assemblée parlementaire franco-allemande. Les travaux du Groupe de travail parlementaire franco-allemand, composé de 18 Députés, 9 Français, dont je faisais partie et 9 Allemands, ont travaillé pendant un an pour aboutir à cette proposition parlementaire novatrice. Ce projet a d’abord été validé par les Bureaux du Bundestag et de l’Assemblée nationale, réunis en septembre 2018, à Lübeck, puis par les Présidents des Groupes politiques, à Paris, en novembre 2018. Ce projet a définitivement été acté les 11 et 21 mars 2019 à l’occasion d’un vote successif des Députés de l’Assemblée et du Bundestag.

L’Assemblée parlementaire franco-allemande

est une innovation dont je ne connais pas

d’équivalent dans le monde.

L’Assemblée parlementaire franco-allemande est une innovation dont je ne connais pas d’équivalent dans le monde. Elle est constituée de 100 Députés, 50 de chaque Assemblée, reflétant les équilibres démocratiques respectifs. Cette Assemblée franco-allemande, présidée par les Présidents de l’Assemblée nationale et du Bundestag, se réunira tous les six mois avec trois objectifs :
• vérifier la mise en œuvre effective du nouveau Traité de coopération d’Aix-la-Chapelle, pour que les intentions se traduisent dans les faits ;
• rapprocher les deux droits en travaillant de façon pragmatique sur le flux des Directives (par défaut, nous considérons que mieux vaut transposer les Directives de la même façon) et sur le stock (par exemple, sur des sujets comme l’environnement règlementaire des entreprises). Aujourd’hui, il n’existe aucune synchronisation des calendriers de transposition, ni de concertation ;
• dégager des positions communes au niveau des Commissions thématiques du Bundestag et de l’Assemblée nationale pour peser davantage au niveau européen. En somme, cette Assemblée pourrait être l’outil opérationnel pour mettre en œuvre l’une des déclarations essentielles du nouveau Traité : celle d’une plus grande convergence entre nos deux pays.

L’objet véritable de cette tribune est de montrer la cohérence de ces démarches multiples visant toutes à faire de l’axe franco-allemand un atout pour le projet européen.

D’une part, la zone frontalière, laboratoire des dissonances entre les deux droits français et allemand, permettrait d’identifier les solutions de convergence nécessaires. Les Députés de la « task force », issus de l’Assemblée parlementaire commune, pourraient ainsi identifier des solutions législatives et proposer, soit des solutions locales soit des harmonisations nationales. De même, la transposition similaire des Directives entre les deux pays diminuerait le flux entrant de dissonances et, de ce fait, l’impact sur la vie des citoyens frontaliers.

D’autre part, le Traité d’Aix-la-Chapelle par Emmanuel Macron et Angela Merkel, inclut des dispositions fortes pour donner un nouvel élan au transfrontalier et énonce aussi la volonté de créer un espace économique franco-allemand avec des règles harmonisées. L’Assemblée parlementaire commune sera l’outil opérationnel parlementaire de cette harmonisation. Elle agira par un dialogue constant entre les Députés, par l’identification des pistes d’harmonisation, par une vigilance commune sur l’application du Traité et sur la transposition commune des Directives, par l’étude pragmatique des dissonances des deux droits qui se révèlent sur les zones frontalières et par les solutions concrètes d’harmonisation ou de mise en équivalence des droits. Cette Assemblée est donc un élément indispensable d’un dispositif nouveau au service du rapprochement franco-allemand.

Venant d’un territoire – l’Alsace – dont

les familles ont chèrement payé le prix des

déchirements entre nos deux pays,

je sais l’importance d’écrire ensemble

une nouvelle page de l’Histoire européenne.

C’est donc non seulement une nouvelle page des relations franco-allemandes qui s’écrit, mais également celle d’une relance de la construction européenne. Car la relation franco-allemande a été le moteur originel de l’Union et elle en est aujourd’hui le moteur économique et politique. Elle devra réussir à fédérer autour de ses initiatives nos partenaires européens pour être la clef de la solution. Le Président de la Commission européenne, présent lors de la signature du Traité d’Aix-la-Chapelle, a eu cette belle formule : « Lorsque la France et l’Allemagne sont d’accords, cela en irrite certains ; mais lorsqu’elles ne sont pas d’accords, cela inquiète tout le monde ».

Participer à ce moment d’Histoire fut, pour moi, une chance et une façon d’apporter ma pierre à un rapprochement auquel je crois profondément. Venant d’un territoire – l’Alsace – dont les familles ont chèrement payé le prix des déchirements entre nos deux pays, je sais l’importance d’écrire ensemble une nouvelle page de l’Histoire européenne. Comme une façon de redonner sa juste place à notre passé commun, pour nous aider à construire notre avenir commun au cœur de l’Europe.