Ali Mardan bey Toptchibachi
le pionnier des relations diplomatiques franco-azerbaïdjanaises

C‘est à Ali Mardan bey Toptchibachi (1863-1934), l’un des principaux dirigeants du Mouvement de libération nationale azerbaïdjanaise de la première moitié du XXème siècle, que revient le mérite d’avoir instauré et développé les relations diplomatiques franco-azerbaïdjanaises, qui culminent avec la reconnaissance officielle par la France de l’indépendance, de facto, de la République d’Azerbaïdjan en janvier 1920. Une carrière déjà remarquable avait, en quelque sorte, désigné cet homme pour ce rôle insigne. Diplômé en 1888 de la Faculté de l’Université de Saint-Pétersbourg, A. M Toptchibachi participe à trois Congrès des Musulmans de Russie en 1905-1907, au cours de la première Révolution russe, en qualité de Président du parti « İttifak-al-muslimin » (« Union des musulmans »). Député de la première Douma de l’Empire russe, il signe le Manifeste de Vyborg. En 1917, après la Révolution de Février, il est partisan de la fédéralisation de la Russie. En avril 1917, il participe au Congrès des Musulmans du Caucase (Bakou) et en mai de la même année, au Congrès musulman de Russie (Moscou). Après le coup d’État bolchévique d’octobre 1917, nous le retrouvons Membre du Sejm de Transcaucasie (en février-mai 1918), qui, le 22 avril de la même année, a proclamé l’Indépendance de la République fédérée démocratique transcaucasienne.

Après la proclamation le 28 mai 1918 par l’Azerbaïdjan de son indépendance, il est nommé Ministre extraordinaire et plénipotentiaire auprès de l’Empire ottoman, mandaté du pouvoir de mener des négociations avec les Représentants des Délégations géorgienne et arménienne à Istanbul. En octobre-décembre de la même année, il est nommé Ministre des Affaires étrangères, puis, le 7 décembre, il devient Président du Parlement de la République d’Azerbaïdjan. Après la fin de la première Guerre mondiale, au début de 1919, il dirigea la Délégation diplomatique de la République d’Azerbaïdjan à la Conférence de Paix de Paris, dans le but d’obtenir la reconnaissance de l’Indépendance de la jeune République d’Azerbaïdjan. Alors qu’il se trouvait encore à Istanbul, le 21 mars 1919, A. M. Toptchibachi adressa une note à Georges Clémenceau, Président de la Conférence de Paix de Paris, et chef du Gouvernement français. Il sollicitait l’autorisation pour la Délégation azerbaïdjanaise de se rendre à Paris, « […] où, en ce cœur de la France noble et pleine de sollicitude envers les petites Nations, elle sera à même d’exposer les revendications d’une ancienne Nation de 4 000 000 d’âmes, laquelle, avec impatience, attend le jugement favorable de la Conférence de la Paix ».

Arrivé début mai 1919 à Paris, le centre de la vie internationale de cette époque, il déploie tous ses efforts, dans des circonstances politiques plutôt défavorables, afin d’obtenir la reconnaissance de l’indépendance de la République d’Azerbaïdjan par le Conseil suprême de l’Entente. En même temps, ce fut un fervent défenseur de la coopération étroite et de l’intégration régionale des Républiques caucasiennes, dans lesquelles il voyait, à juste titre, la principale garantie de la préservation de l’indépendance par les Républiques du Caucase du Sud. A. M. Toptchibachi s’ingénia à mieux faire connaître l’Azerbaïdjan aux milieux politiques et au public français, en attirant l’attention sur le riche potentiel économique du pays, ainsi que sur la construction de l’État azerbaïdjanais démocratique et laïque, fondé sur les principes proclamés par la Révolution française.

Au début de 1920, l’évolution de la guerre civile en Russie ne permet plus d’espérer le renversement prochain du Bolchévisme par les Armées blanches russes, soutenues par les alliés. En même temps, les dirigeants du Conseil suprême de l’Entente et leurs Représentants sur place prennent conscience de la capacité et de la volonté du peuple azerbaïdjanais, ainsi que de son élite politique de créer un État indépendant stable. C’est pourquoi, le 10 janvier 1920, les Ministres des Affaires étrangères des États de l’Entente, réunis à Paris, prirent la décision de reconnaître, de facto, l’indépendance de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie, les pays les plus stables du Caucase du Sud, lesquels, comme à l’heure actuelle, constituaient la pierre angulaire de la coopération et de l’intégration régionale du Caucase du Sud.

La reconnaissance de facto de l’Azerbaïdjan a ouvert de larges perspectives de coopération politique et économique, y compris l’assistance des pays européens à la construction des forces armées nationales, tâche urgente, car l’Armée rouge était en train de s’approcher à marche forcée des frontières de l’Azerbaïdjan. Toptchibachi réussit à convaincre les Dirigeants de la France, de l’Angleterre et d’autres pays de l’Entente, de la nécessité de fournir une assistance militaire à l’Azerbaïdjan. Une décision en ce sens fut prise par le Conseil suprême, mais elle resta lettre morte, pour des raisons indépendantes de la volonté d’A. M. Toptchibachi. En effet, une révolte des Séparatistes arméniens secoua le Haut-Karabakh en mars 1920. La République voisine d’Arménie convoitait déjà cette région historique de l’Azerbaïdjan. Désireux de mettre la communauté internationale devant un fait accompli, les Séparatistes tentèrent un coup de force pour annexer le Karabakh. Cette malencontreuse initiative eût des conséquences désastreuses pour tous les pays du Caucase du Sud. Pour éviter l’escalade du conflit, les Représentants des États alliés suspendirent temporairement les livraisons d’armes et d’équipement promises à l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Arménie, dont ces Républiques avaient un besoin urgent pour protéger leur indépendance contre les Bolchéviks.

L’envoi de troupes azerbaïdjanaises au Haut-Karabakh, dans le but de défendre l’intégrité territoriale du pays, a permis à l’Armée rouge d’envahir traîtreusement l’Azerbaïdjan à la fin du mois d’avril, d’occuper le pays et d’éradiquer par la force les partisans de l’indépendance. Toptchibachi avait toujours craint que les revendications territoriales opposant entre eux les États du Caucase du Sud ne jouent un rôle fatal dans leur destin. Dès son arrivée à Paris il s’était efforcé de persuader les Arméniens de s’associer à la coopération entre Caucasiens. Mais ses pires appréhensions s’étaient réalisées.

Malgré l’occupation bolchévique de l’Azerbaïdjan, Toptchibachi poursuivit ses activités dans l’émigration. La France était devenue sa deuxième patrie. En 1921-1924, avant la reconnaissance par les puissances occidentales de la Russie bolchévique, la Délégation azerbaïdjanaise à Paris, sous sa présidence, continue, dans une certaine mesure, d’être considérée par le Gouvernement français comme la représentation légitime de l’Azerbaïdjan occupé.

À la fin de 1920, Aristide Briand, un fervent défenseur de la restauration de l’indépendance des Républiques du Caucase, arrive au pouvoir. Comme la majorité écrasante des personnalités politiques occidentales de l’époque, Aristide Briand ignorait tout simplement la détermination de Bolchéviks à se maintenir aux pouvoir par tous les crimes imaginables et inimaginables, y compris le sacrifice de la vie de millions de victimes innocentes. Cet espoir de l’effondrement imminent du pouvoir bolchévique en Russie était entièrement partagé par les Représentants diplomatiques des Républiques du Caucase à Paris, qui, essayant de tirer les leçons des erreurs du passé, donnaient la priorité à la réalisation de l’unité maximale entre des Caucasiens. A. M Toptchibachi joua un rôle déterminant dans cette politique. Le Président de la Délégation azerbaïdjanaise a personnellement élaboré les bases de la déclaration du 10 juin 1921 des Représentants des Républiques Caucasiennes. Dans ce document, les Représentants de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie, du Caucase du Nord et de l’Arménie déclaraient officiellement leurs intentions d’établir une Confédération du Caucase dès la libération de leur pays de la domination des Bolchéviks. En 1922-1923 le Président de la Délégation azerbaïdjanaise assista aux Conférences internationales de Cannes, Gênes et Lausanne, prenant la parole pour défendre le droit à l’indépendance de son peuple, tout en dénonçant l’impérialisme bolchévique, dont l’Azerbaïdjan était la victime.

Au début des années 30, la santé d’A. M. Toptchibachi, minée par les conditions difficiles de la vie des émigrés, ainsi que par la mort tragique de son fils aîné Rashid, commença à se détériorer. Il resta néanmoins actif presque jusqu’à la fin de sa vie, tentant de préserver parmi les émigrés cette unité, dont l’absence en 1920 eût un impact tragique sur le sort de l’Azerbaïdjan et du Caucase du Sud.

Le 14 juillet 1934, les Centres nationaux de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et du Caucase du Nord, qui représentaient les Gouvernements en exil de ces Républiques, signèrent le Pacte de la Confédération du Caucase, que les parties s’engageaient à mettre en place immédiatement après le rétablissement de l’indépendance des Républiques du Caucase.
A. M. Toptchibachi et M. E. Rassoulzadé, le Président du Centre national d’Azerbaïdjan et le Président du parti Musavat, signèrent au nom de l’Azerbaïdjan. Une note envoyée à ce propos le 6 août à Louis Barthou, Ministre des Affaires étrangères de la France, soulignait que « les peuples du Caucase, affranchis du joug qui les oppresse et réunis ensemble sous la forme confédérative, deviendront, incontestablement, une puissante avant-garde de la civilisation et un important facteur de l’ordre et de paix dans la tout le Proche Orient ».

La signature du Pacte de la Confédération du Caucase fut le couronnement de l’activité dans l’émigration d’A. M. Toptchibachi, qui avait mis sa vie sur l’autel du service de la patrie. Le 5 novembre 1934, il meurt à Saint-Cloud. Lors de ses funérailles au cimetière musulman de Bobigny, des Représentants éminents du public français étaient présents, ainsi que de nombreux émigrés. La cérémonie fut une démonstration de l’unité des tous les émigrés caucasiens.

Deux ans après de la cérémonie de signature du Pacte de la Confédération du Caucase, en juillet 1934, M. E. Rassoulzadé se rappelait que Toptchibachi « avait signé le Pacte de la Confédération du Caucase, le rêve et l’idéal de son travail long et infatigable, d’une main tremblante. Il espérait qu’il retrouverait des forces afin de poursuivre son œuvre, mais le destin en a décidé autrement ».

Avec le recul de l’Histoire, on peut affirmer aujourd’hui que la cause d’A. M. Toptchibachi et du Mouvement de la libération nationale de l’Azerbaïdjan en exil dont il était le dirigeant a gagné.

L’occupation bolchévique de la République d’Azerbaïdjan en 1920 marqua pour longtemps le triomphe de la force brutale. Mais celui-ci ne pouvait durer. Dans une perspective historique, la volonté d’indépendance du peuple azerbaïdjanais restait inébranlable, ce qui se manifesta pleinement 70 ans après les événements que nous avons évoqués.

La mission entreprise au début de 1919 par Toptchibachi et les autres membres de la Délégation diplomatique, a jeté une base solide pour le développement harmonieux des relations franco-azerbaïdjanaises, dont l’état et les perspectives ne peuvent qu’inspirer le meilleur espoir pour l’avenir.