« Notre ambition est d’être accueillis dans la Famille européenne des Nations ! »
Docteur en philosophie de l’Université de Tbilissi, le 4ème Président de la République de Géorgie depuis l’indépendance de 1991, est une personnalité atypique, qui entend resserrer les liens avec l’Europe et la France. C’est donc à un large tour d’horizon que nous avons souhaité procéder, pour évoquer les relations internationales de ce pays à la situation géostratégique majeure…
Monsieur le Président, comment passe-t-on de la philosophie à la politique ?
Nous restons ce que nous sommes… c’est à dire que nous utilisons notre savoir, nos connaissances, nos expériences passées et nous les appliquons au monde réel avec plus ou moins de succès. Je pense, en vérité, que la philosophie est très compatible avec la politique. On doit simplement pouvoir la mettre en action tout en restant cohérent, avec les valeurs, les buts et la direction générale suivie.
Comment définiriez-vous précisément ces buts qui vous animent ?
En tant que Président, je crois que ceux-ci doivent forcément s’aligner avec l’identité de notre peuple. Ces trois derniers millénaires, nos valeurs étaient celles de la liberté, la fierté de notre identité nationale et de la tolérance. Elles se sont forgées au cours de l’Histoire, puisque nous nous sommes retrouvés à la jonction des plus grands peuples et Empires. Je pense aux Mongols, à l’Empire Russe, aux Iraniens, aux Arabes et aux Turcs. Nous étions donc toujours obligés de combattre pour avoir le droit d’exister et de préserver notre identité, notre religion et la souveraineté de notre État dans un climat géopolitique assez compliqué. Ceci ne signifie pas que nous manquions de tolérance. Au contraire ! Nous avons toujours célébré la différence. Ainsi, en Géorgie, nous apprécions la culture musulmane, nous avons aussi d’importantes communautés juives qui y vivent en paix depuis 26 siècles. Mais la vision fondamentale de liberté que nous avons nourrie précieusement des centaines d’années durant, courageuse et à la fois romantique, est précisément celle que nous souhaitons préserver aujourd’hui.
À l’occasion de votre venue en France, nous souhaiterions faire un tour d’horizon des relations franco-géorgiennes. Comment les définiriez-vous ? Et quels sont les domaines où – selon vous – il y aurait des progrès à effectuer ?
Avec la France, nous travaillons déjà ensemble à plusieurs niveaux : culturel, militaire et politique. Ceci n’est pas étonnant, compte tenu de nos très nombreux goûts en commun, en ce qui concerne le mode de vie et la culture. Par exemple, nous aimons et partageons le même intérêt pour le vin, la gastronomie et le sport. Les Géorgiens apprécient la littérature française et les Français qui nous rendent visitent affectionnent aussi notre culture. De plus, nous entretenons une très forte coopération militaire. La France nous aide à développer notre système de défense. Nos soldats sont côte à côte au Mali et en République centrafricaine. Nous poursuivons donc ensemble des objectifs de stabilité et de paix. Ensuite, vient la coopération politique… Je voudrais utiliser cette possibilité et remercier encore une fois la France pour son engagement lors du conflit en Géorgie en 2008. À l’époque, le Président Sarkozy s’est rendu à Tbilissi, qui était alors au centre des tensions pour trouver des solutions pacifiques et il a réussi ! Nous nous souvenons bien de cette réactivité de la part de la France et nous lui en sommes particulièrement reconnaissants. De plus, nous avons actuellement beaucoup de projets en cours, notamment dans le domaine commercial. En effet, ces nouveaux projets peuvent nous donner un rôle significatif sur le marché européen et devenir ainsi un levier dans notre ambition d’être accueilli dans la famille européenne des Nations.
Justement, en parlant de l’ambition européenne pour la Géorgie, quel premier bilan peut-on tirer, selon vous, de l’accord signé en juin 2014 ?
Nous avons signé un accord d’association et un accord de libre-échange qui sont fondamentaux dans le contexte du projet de la construction d’une culture européenne. En tant que culture, nous sommes forcement Européens, mais nous avons besoin d’outils, afin de devenir une véritable démocratie européenne. En effet, cet accord d’association s’est avéré être un bon exercice, car il nous a obligé à suivre un certain nombre de procédures en ce qui concerne, par exemple, la transformation des aliments, le monde des affaires ou les procédures douanières, entre autres. Ces réformes ont été contraignantes, mais, en même temps, très positives, car elles ont davantage rapproché la Géorgie des standards d’un État européen. Nous collaborons donc d’une façon très précise avec nos partenaires afin d’atteindre tous les standards requis.
Estimez-vous qu’une intensification des relations interparlementaires entre nos deux pays soit une voie permettant de conforter l’accord d’association entre la Géorgie et l’Union Européenne ?
Il est certain que ma rencontre avec le Président de l’Assemblée nationale, à l’occasion de ma visite en France, s’inscrit dans un environnement propice, surtout en prenant en considération la décision récente relative à la libéralisation des visas, car ceci nous ouvre de réelles opportunités.
Par ailleurs, c’est un moment décisif, avec l’entrée en vigueur du nouveau Parlement en Géorgie, qui rend donc tout développement des relations interparlementaires capital. Il y a de nombreuses décisions sur lesquelles nous devrions nous mettre d’accord, en particulier sur la diaspora géorgienne en France. Enfin, des décisions politiques, économiques et militaires majeures nécessitent que nous oeuvrions, immanquablement, à l’élaboration d’un agenda commun.
D’un point de vue économique, les échanges entre nos deux pays restent toujours assez faibles. Quels sont les obstacles à lever pour renforcer nos relations commerciales ? Et quels sont les domaines à privilégier en particulier ?
La première chose qu’on aimerait améliorer est la présence des produits géorgiens sur le marché européen. Le vin et l’eau minérale sont des exemples de produits que nous avons toujours exportés avec succès. En même temps, il ne faut pas oublier que la Géorgie est un pays de transit, puisqu’elle se trouve à un croisement entre l’Europe et l’Asie. Elle permet donc aux ressources de la Mer caspienne de transiter vers l’Europe. L’une des illustrations de cette coopération est le projet en cours d’élaboration qui va permettre de transporter les ressources énergétiques par la Mer caspienne en Italie et en Grèce, en passant par l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie. Il faut savoir aussi que, puisque nous percevons notre pays en tant que pays de transit, nous investissons beaucoup dans l’infrastructure et nous libéralisons toutes les formalités afin de créer de nouvelles ouvertures pour les futurs projets. La Géorgie aujourd’hui représente un potentiel considérable pour les affaires. Nous avons les impôts les plus bas de la région et un accès aux marchés de libre-échange. Nous avons donc besoin de promouvoir cette information, de créer des opportunités et ensuite de les exploiter.
À part les avantages, être « un pays de transit », c’est-à-dire être un pont entre l’Europe et l’Asie, projette souvent au coeur d’un environnement mouvant et extrêmement troublé. Êtes-vous inquiets de la reprise du conflit dans le Haut-Karabagh, qui implique aujourd’hui l’Azerbaïdjan et l’Arménie ?
Naturellement nous sommes inquiets ! Nous sommes même très inquiets, puisque la Géorgie est l’un des pays les plus vulnérables de ce point de vue, à cause de son emplacement géographique. S’il y a un conflit militaire dans la région, cela a un impact direct sur nous. Si nous envisageons le conflit du Haut-Karabagh du point de vue géopolitique, nous verrons que l’Azerbaïdjan est soutenu par la Turquie, tandis que l’Arménie est soutenue par la Russie. Et, puisque derrière ce conflit, se profilent les enjeux turques et russes, nous sommes ainsi directement concernés par les rivalités entre ces deux grandes puissances. De plus, nous sommes une Nation où les Arméniens et les Azerbaïdjanais se côtoient et vivent ensemble pacifiquement. C’est pourquoi, vous l’aurez compris, nous sommes très fortement investis dans le concept de la paix.
Et comment définiriez-vous votre relation avec votre autre voisin, la Russie ? Avez-vous toujours gardé un échange politique, économique et culturel ?
Nous avons une relation économique avec la Russie. Nous avons aussi un lien culturel, car nous avons toujours été très proches. Nous sommes tous les deux des pays orthodoxes, nous partageons le même mode de vie, nous avons des intérêts communs. Tout cela est donc encore d’actualité. Mais les fautes qui ont été commises en 2008 et même avant, dans les années 90, ne peuvent pas être sous-estimées et restent ancrées dans la mentalité de chaque Géorgien. Peu importe l’affiliation politique, peu importe si l’on est pro ou anti-Européen, les Géorgiens considèrent que le comportement de la Russie envers eux depuis ces 25 dernières années a été très injuste. Tout le monde reconnaît que la Géorgie a le droit d’avoir sa souveraineté territoriale et nationale. Les entités artificielles que la Russie a essayé de créer sur notre territoire nous pèsent donc lourdement.
Le coeur du conflit en 1990 et en 2008 que vous évoquez concernait l’indépendance de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud… Mais aujourd’hui, quelles sont vos relations avec ces États ?
Ce sont des États – à proprement parler – artificiels, créés avec le soutien fort de la Russie. Nous communiquons avec leurs représentants sur les Forums internationaux. Mais ce sont, bien évidemment, des liens superficiels. L’essentiel est que nous gardions le contact avec les citoyens de la Géorgie qui y résident et qui traversent la frontière pour les affaires, les soins et tout autre nécessité. En quelque sorte, c’est le processus de réconciliation qui est en marche. Mais, malheureusement, la Russie essaie de mettre un terme à cette relation qui est pourtant en train de se créer. Ce dont nous avons donc besoin, est de parvenir à un accord avec la Russie, car la suppression de ces relations est non seulement mauvaise pour la Géorgie, mais aussi pour la Russie. L’occupation russe de ces territoires ne sert à rien. Je me suis souvent demandé ce qu’apporterait à la Russie, dotée déjà d’un territoire si immense, l’occupation des deux villages géorgiens perdus. Je n’ai pas encore trouvé de réponse… Cependant, la Géorgie est une Nation qui nourrit des liens amicaux envers ses voisins et nous aimerions, dès lors, entretenir, bien évidemment, une relation d’amitié avec la Russie, mais cette problématique doit avant tout être impérativement résolue, avec le postulat suivant : la Russie devrait comprendre qu’elle peut avoir des opportunités très intéressantes dans notre pays, à partir du moment où elle abandonne ses intentions militaristes.
En parlant d’opportunités, qu’en est-il du tourisme ? Il apparaît pour la Géorgie comme l’un des secteurs prometteurs, même si le pays reste, finalement, encore mal connu comme destination de séjour… Quels sont les atouts à mettre en valeur selon vous ?
Le tourisme en Géorgie serait un domaine très intéressant à développer, car sur un petit morceau de terre, nous avons à la fois des montagnes, la mer et le semi-désert. C’est donc un pays très riche, qui a tout ce qu’il faut pour déployer son rayonnement, en ce qui concerne la culture, la gastronomie, la musique et l’architecture. Nous sommes d’ailleurs fiers, comme vous pouvez l’imaginer, que notre petit pays, doté d’une culture colorée et unique, ait été récemment inscrit par l’UNESCO sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité.
Pour conclure, Monsieur le Président, quel message souhaiteriez-vous transmettre à la classe politique française par l’intermédiaire du Journal du Parlement ?
Je souhaiterais demander à mes amis français de continuer à cultiver également notre relation, de connaître davantage la Géorgie et de créer plus d’opportunités pour que les Géorgiens, à leur tour, puissent mieux connaître la France. Je pense que ceci est mutuellement bénéfique. Comme je le disais auparavant, la Géorgie est un pays propice au développement du monde des affaires, de la culture et du tourisme. Nos deux pays ont donc un réel besoin d’investir le plus possible dans la communication bilatérale, ainsi que dans la coopération culturelle…