Le rôle des femmes
dans l’Histoire azerbaïdjanaise

Les préjugés à l’égard des femmes et la discrimination de celles-ci, n’est ni un épiphénomène, ni même une manifestation nouvelle. Mais aujourd’hui plus que jamais, la condition féminine soulève des problématiques au centre des préoccupations de nos sociétés. D’autant plus dans le monde musulman où, en dépit du caractère universel de la lutte féminine, une interprétation traditionaliste et conservatrice de l’égalité femme-homme renferme les sociétés dans le sexisme et le patriarcat. Alors que les fondamentalismes s’emploient à imposer leur vision rétrograde de la femme, pour sa part, l’Azerbaïdjan a, cependant, su tirer parti du système patriarcal pour développer une société moderne dans le respect des droits de la femme.

Dès le début du XIXème siècle, l’espace public subit des transformations…

Après des siècles rythmés par un fourmillement de seigneuries de tout ordre et, plus particulièrement des khanats séparés de la Perse au XVIIIème siècle, le territoire d’Azerbaïdjan est intégré à l’Empire des Tsars au début du XIXème siècle. Les influences ottomanes et persanes y sont bien ancrées, mais l’expression des voix laïques se manifeste, amorçant la lente sécularisation de la société. Les Azerbaïdjanaises font entendre leur voix à travers les associations et autres organisations caritatives, mais aussi dans la presse. Après la Révolution de 1917, marquant la chute du régime tsariste et l’avènement de la République démocratique d’Azerbaïdjan (l’ADR), on assiste à l’affirmation des valeurs nationales visant à rétablir le lien avec le passé. Cependant, les pratiques diffèrent et la nouvelle politique identitaire contribue, à terme, à l’émancipation des femmes. À l’image de Khurshidbanu Natavan (1832-1897), fille du dernier khan du Karabakh. Lettrée, poétesse talentueuse, Natavan était une femme moderne et idéaliste. Connue pour ses activités philanthropiques et caritatives, elle contribue à la métamorphose de Shusha (sa ville natale) par la construction, d’un théâtre, d’une école et bien d’autres édifices encore et, en favorisant les conditions de vie des plus pauvres.

L’affirmation d’une dynamique réformatrice…

À l’époque, quelques intellectuels n’hésitent pas à comparer la société azerbaïdjanaise aux sociétés occidentales et portent leurs conclusions sur la place publique. Il leur semble indéniable que le manque d’éducation des femmes et, par conséquent, l’absence de femmes dans la vie publique, freine le développement des sociétés musulmanes et notamment, de la société azerbaïdjanaise. De plus, selon leurs observations, ces pays occidentaux où les femmes ont plus de droits et libertés sont plus avancés. Le débat sur le droit des femmes est, dès lors, lancé, divisant les intellectuels et les politiques en deux principaux groupes : les nationalistes laïques d’une part et les conservateurs religieux d’autre part.

Au fil du temps, les premières écoles pour filles sont ouvertes, notamment le premier lycée pour filles musulmanes de Bakou, baptisé par son maître d’ouvrage « Lycée Impératrice Alexandra Fedorovna ». Inauguré en 1901, cet établissement voit le jour grâce à la générosité et la bienveillance de Hadji Zeynalabdine Taghiyev, baron du pétrole et philanthrope. Très sensible aux questions d’éducation, Taghiyev a, non seulement, investi plus de 150 000 roubles pour la construction du lycée, mais il s’est également personnellement occupé d’obtenir les autorisations nécessaires à sa réalisation. C’est son épouse, SonaTaghiyeva-Arablinskaya (1881-1932), fille du Général tsariste Balakishi bey Arablinski, d’ores et déjà impliquée dans bon nombre d’actions caritatives, qui prend la direction de l’Institution, rejointe par Shafiga Efendizade (1882-1959), qui intègre l’équipe enseignante dès l’obtention de son diplôme. Également éditrice et écrivaine, Shafiga fait campagne pour l’éducation, la liberté et les droits des femmes, et devient déléguée aux manifestations féminines dans le Caucase et en Russie. Plus tard, c’est Hanifa Malikova (1856-1929) qui sera Directrice du Lycée pendant un temps. Instigatrice du Mouvement des Lumières en Azerbaïdjan, elle est également à l’origine de la toute première association caritative de femmes azerbaïdjanaises (créée en 1908), avec le soutien de son mari, Hasan bey Zardabi, intellectuel et fondateur de la presse azerbaïdjanaise avec le journal « Ekinchi » (ndlr : « Laboureur »).

En dépit des pressions exercées par l’opposition, la réalisation du Lycée fait des émules : dès 1908, le Gouvernement finance sa première école pour filles et, en septembre 1915, le premier Centre de formation pour enseignantes commence ses cessions pédagogiques.

Figure de proue dans le mouvement des Droits des femmes d’Azerbaïdjan, Hamida Javanshir Mammadguluzade (1873-1955) déploie ses talents de médiatrice entre les Azerbaïdjanais et les Arméniens du Karabakh, en 1907, à l’issue de deux années de conflit. Humanitariste, elle instaure la première École mixte dans son village natal (Kahrizli) en 1908. Et, en 1910, elle fonde la Société des Femmes Caucasiennes Musulmanes Bénévoles.

La sphère politique connaît également son quota de changements significatifs. Progressivement, elles occupent des postes à responsabilités. Cependant, l’événement politique le plus marquant reste, sans conteste, la promulgation, le 21 juillet 1919, de la loi accordant le droit de vote à tous les citoyens de plus de 19 ans, sans distinction de sexe, de langue ou d’ethnicité. La République démocratique d’Azerbaïdjan devient ainsi le premier pays musulman donnant des droits civiques aux femmes. Elles sont dorénavant réellement présentes en nombre dans la vie publique et peuvent formellement exprimer leurs préoccupations. À l’instar d’Ayna Sultanova (1895-1938), première Éditrice du magazine « Oriental Woman ». Elle occupe le poste de Commissaire à l’Éducation du peuple de la RSS d’Azerbaïdjan, puis sera nommée Présidente de la Cour suprême et Ministre de la Justice. Ses liens étroits avec les Bolchéviks en font une figure controversée de l’ère post-soviétique et, malgré son dévouement au marxisme, elle est exécutée, victime des purges de Staline. Mais aussi comme Tahira Tahirova (1913-1991) qui est, d’une part, la première femme azerbaïdjanaise à obtenir un diplôme universitaire dans l’industrie pétrolière et, d’autre part, la première à devenir Ministre des Affaires étrangères (de la RSS d’Azerbaïdjan de 1959 à 1983). C’est après avoir géré avec brio l’effort de guerre en maintenant l’approvisionnement de l’Armée soviétique en pétrole pendant la Seconde Guerre mondiale qu’elle devient Ministre des Affaires étrangères, renonçant à tout autre engagement pour se consacrer à ses obligations.

Au début du XXème siècle, la presse est florissante et nombreuses sont les publications qui mettent les femmes au centre de leur communication. Leurs problèmes et leur rôle, tant dans les sphères éducatives, que culturelles ou politiques, font couler beaucoup d’encre dans des magazines et journaux, tels que « Irshad » (1905), « Mollah Nasreddin » et « Füyuzat » (1906), « Yeni Füyuzat » (1911), « Iqbal » (1912), « Dirilik » (1914), ou encore « Azerbaïdjan » (1918)…, parmi les plus actifs. Sans oublier le premier magazine féminin « Ishiq » (ndlr : « Lumière ») paru en 1911. Dirigé par Khadija Alibeyova (1884-1961), première femme journaliste de l’Histoire de l’Azerbaïdjan et publié par son mari, l’Avocat Mustafa bey Alibeyov, ce périodique appelle les femmes musulmanes à s’instruire, à participer à la vie publique et à connaître leurs droits, tout en s’acquittant de leurs obligations familiales.

Ainsi, on constate que les femmes ne sont pas en reste quant à l’éveil de la conscience nationale en termes de tolérance et d’égalité et qu’elles participent activement à la construction d’une société moderne. Certaines ont même marqué profondément l’Histoire de l’Azerbaïdjan, non seulement par leur courage, mais aussi par leur ténacité.

Figures de femmes emblématiques…

Nigar Shikhlinskaya (1878-1931) fut la première infirmière azerbaïdjanaise et la première azerbaïdjanaise à avoir fait des études supérieures. Elle fournit une aide médicale aux blessés pendant la Première Guerre mondiale, présida la Société du Croissant-Rouge d’Azerbaïdjan et fut l’une des Fondatrices de la Société du Croissant-Or. Elle était l’épouse du héros de Port-Arthur, le Général Aliagha Shihlinski (qui dirigea également les Forces militaires du pays nouvellement indépendant à partir de 1918).

Sona Velikhan (1883-1982) fut la première femme à obtenir un Doctorat en Sciences médicales en Azerbaïdjan. Spécialiste en ophtalmologie, elle attire l’attention du Comité du Prix Nobel, mais malheureusement, la Seconde Guerre mondiale commence…

Govher Gaziyeva (1887-1960) fut la première actrice azerbaïdjanaise à se produire en public. Née à Tiflis (Tbilissi, Géorgie), elle y commença sa carrière, apparaissant dans la tragédie de Najaf Bey Vezirov, « Musibeti-Fakhraddin ». Elle devînt rapidement célèbre sous le sobriquet de « Colombe de la scène azerbaïdjanaise ».

Shovkat Mammadova (1897-1981) fut la première chanteuse d’opéra professionnelle azerbaïdjanaise. Elle étudia à Milan, soutenue par le couple Taghiyev. Artiste émérite de la RSS d’Azerbaïdjan, elle créée en 1923 la première École de théâtre d’Azerbaïdjan (aujourd’hui connue comme « Université d’État de la Culture et des Arts »).

Sureyya Aghaoghlu (1903-1989) fut la première avocate de l’Histoire turcophone. Elle était également écrivaine, éditrice, orientaliste, fervente défenseur des Droits des femmes. Née à Shusha, fille de l’influent Ahmed bey Aghaoghlu, elle s’enfuit en Turquie à la chute de l’ADR, où elle sera diplômée en droit à l’Université d’Istanbul.

Banin (1905-1992), fille de Mirza Assadoullayev (Ministre du Commerce et l’Industrie de l’ADR), émigrée à Paris dans sa jeunesse, écrivain franco-azerbaïdjanaise et mémorialiste, fut très active dans les sphères médiatiques françaises, notamment concernant le conflit du Karabakh. Elle apporte ainsi sa contribution à la défense de son pays natal.

Gamar Salamzade (1908-1994), première réalisatrice en Azerbaïdjan, mais aussi en Orient. Née à Nakhitchevan, elle puise son inspiration dans l’œuvre de son père (poète) et les images du magazine satirique populaire « Mollah Nasreddin ».

Izzet Orudjeva (1909-1983) fut actrice et la première chimiste d’Azerbaïdjan. Après une courte carrière cinématographique, elle consacre toute sa vie à la science. Membre de l’Académie des Sciences de la RSS d’Azerbaïdjan, elle dirige l’Institut de chimie inorganique et de physique.

Leyla Mammadbeyova (1909-1989) fut la première femme pilote d’Azerbaïdjan, mais aussi du Caucase, d’Europe du Sud et du Moyen-Orient. Elle effectue son premier vol en 1931. Étant par ailleurs l’une des premières femmes d’URSS à sauter en parachute, elle forme à l’action des centaines de parachutistes pendant la Seconde Guerre mondiale.

Gamer Almaszade (1915-2006), chanteuse, maître de ballet et professeur, fut la première ballerine d’Azerbaïdjan. Artiste émérite de la RSS d’Azerbaïdjan et très populaire, elle participe par son art à la reconnaissance du pays à travers le monde.

Maral Rahmanzadeh (1916-2008) fut la première femme azerbaïdjanaise à obtenir une éducation artistique professionnelle. Auteur de nombreuses aquarelles et autres œuvres graphiques, elle travaille également la gravure (lithographies et linogravures) et apporte ainsi une contribution significative au développement de l’art azerbaïdjanais.

Shafiga Zeynalova (1922-1979) fut la première femme architecte reconnue. À contre-courant, elle sait cependant s’imposer et co-signe un certain nombre d’œuvres architecturales techniquement élaborées, comme le Ministère des Affaires étrangères ou la gare ferroviaire.

Shafiga Akhundova (1924-2013), compositrice, fut la première femme d’Orient à écrire un opéra. Artiste émérite de la RSS d’Azerbaïdjan, elle figure parmi les disciples du célèbre compositeur Uzeyir Hadjibeyov.

Munevver Rzayeva (1929-2004) fut l’une des premières femmes sculpteurs. Elle réalise des statues d’Ayna Sultanova, de Sevil Gaziyeva, de Mehseti Ganjevi, de Mikayil Mushvig, de Nasimi et bien d’autres personnes de renom. Elle sculpte aussi bien le granit, que le marbre, le bronze ou encore le bois.

Mais il serait trop long de toutes les énumérer, car elles sont innombrables, ces femmes, ivres de liberté, avant-gardistes, pionnières, bâtisseuses de cette société azerbaïdjanaise en devenir, modèle de tolérance et d’ouverture, où la femme est respectée.

Azerbaïdjanaises toujours plus présentes…

Depuis la RSS d’Azerbaïdjan, elles sont nombreuses à s’être succédées aux plus hautes fonctions de l’État : Kubra Faradjova, Ministre de la Santé (1947-1950) ; Zuleykha Seyidmammadova, Ministre de Travail et de la Protection Sociale (1952-1975) ; Habiba Hasanova, Ministre de l’Industrie (1963-1968) ; Svetlana Qasimova, Ministre du Commerce (1979-1983) ; Elmira Qafarova, Ministre de l’Éducation (1980-1983), Ministre des Affaires étrangères (1983-1987) et Présidente du Présidium du Soviet suprême de la RSS d’Azerbaïdjan (1989-1992) ; Lidiya Rasulova, Présidente du Conseil des syndicats de la République d’Azerbaïdjan (1981-1988) et Ministre de la Protection Sociale (1988-1992) ; Sudaba Hasanova, Ministre de la Justice (1995-2000).

À présent, en Azerbaïdjan, les femmes sont bien représentées dans les secteurs d’activités, notamment de l’éducation, où elles comptent 67,9 % des actifs et de la santé où l’on en dénombre 70,2 %. Parmi les fonctionnaires, 30 090 sont des femmes, soit 28,6 %.

En 2017, le Parlement azerbaïdjanais comptait 21 femmes sur 125 députés (alors qu’en Géorgie elles n’étaient que 17 sur 235 ou encore, en Arménie, 10 sur 131). Aujourd’hui, le Gouvernement a fait de la parité femmes-hommes l’un des fers de lance de sa politique de modernisation.