« Nous vivons au temps du bâton ! »

Le processus de paix israélopalestinien se trouve dans une impasse totale… D’un côté, votre Gouvernement refuse de stopper la colonisation et de revenir aux frontières de 1967, comme l’a demandé le Président américain Barack Obama et, de l’autre, le Hamas, qui vient juste de se réconcilier avec le Fatah, refuse à l’État d’Israël le droit d’exister. Combien de temps cela peut-il durer ? Ne craignez-vous pas un élargissement du conflit ?

Ce que vous venez de dire à propos du Hamas est exact. Mais ce que vous avez dit sur Israël n’est pas tout à fait juste : nous sommes prêts à les rencontrer et à négocier. Nous avons pleinement conscience que le Moyen-Orient va bientôt connaître une période très problématique.

Nous comptons nous impliquer, en toute honnêteté et transparence, afin de trouver une solution qui puisse convenir aux deux Nations, en garantissant la fin du conflit et la sécurité des frontières, mais aussi celle des réfugiés.

Oui, mais vous n’êtes pas prêts à revenir aux frontières de 1967…

Je ne pense pas que la différence soit aussi grande… Nous croyons fermement que les principaux blocs satellites et le voisinage juif de Gaza doivent faire partie d’Israël et nous pensons que les frontières doivent être délimitées de façon à ce que nous ayons une solide majorité. Pour les générations à venir, ce serait la garantie d’un État palestinien viable et respectable.

Comment réagit Israël face au vide laissé par la chute de Moubarak en Égypte, au risque d’une déstabilisation de votre voisin jordanien et possible chute de Bachar al-Assad ?

Qu’il s’agisse des rues de Tunisie ou de Bahreïn, l’aspect politique est extrêmement important d’un point de vue historique, parce que rien de tel n’est arrivé ces cent dernières années depuis l’effondrement de l’Empire ottoman. Ce qui est sûr, c’est que plus rien ne sera comme avant. Pour nous, il est évident que nous pourrions bientôt représenter dans la région la seule oasis démocratique stable affichant des valeurs occidentales. Et nous pourrions avoir à nous défendre seuls. Mais nous n’avons pas la prétention de fixer les règles de façon à les orienter dans la bonne direction. Sans doute ce mouvement est-il riche d’inspiration sur le long terme, mais à court terme, tout cela pourrait facilement finir par une prise de pouvoir des islamistes radicaux. On peut clairement dire aujourd’hui que nous vivons au temps du bâton.

Craignez-vous des possibles réactions du Hezbollah, qui vient de reprendre le pouvoir au Liban et de l’Iran qui est l’allié de la Syrie, au cas où Bachar al-Assad serait renversé par son peuple ?

Avant tout, nous considérons que, s’il est renversé par son peuple, cela signifie qu’il a perdu sa légitimité et sa capacité à gouverner. Pour ma part, je pense que Bachar al-Assad est condamné. Parce qu’il s’est montré si brutal qu’il a perdu toute légitimité aux yeux de son propre peuple. Sans doute tiendra-t-il encore quelques mois, tout au plus ! Quant à l’Iran et au Hezbollah, je crois que leurs réponses sont surtout liées au fait qu’ils savent parfaitement que sans Assad, ils seront beaucoup plus faibles. C’est une très bonne raison de trembler pour le Hezbollah et les Ayatollahs, ce que nous ne devons surtout pas regretter.

Selon certaines informations, la Syrie aurait de nouveau tenté de se débarrasser récemment à Beyrouth, juste avant que son avion ne décolle, de l’ancien Premier ministre libanais, Saad Hariri… Trouvez-vous cela plausible ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas au courant. Je sais qu’ils ont effectivement supprimé son père il y a quelques années. À l’heure actuelle, le vrai souci, aussi bien pour le Hezbollah que pour la famille Assad, c’est que si le Tribunal spécial met tout ce qu’il sait sur la table, ce sera très embarrassant pour eux.

Ehud Barak serrant la main de Yasser Arafat, encouragé par le Président Bill Clinton en 1999.

Revenons-en à ce que vous avez dit sur la Syrie… Aujourd’hui, Israël souhaite-t-il officiellement une chute de Bachar al-Assad en espérant une meilleure situation ?

Nous ne prétendons pas contrôler tout ce qui se passe dans la région. Nous ne cherchons même pas à avoir une quelconque influence sur les événements. Pendant longtemps, nous avons tenté de trouver un moyen de faire la paix avec la famille Assad. En tant que Premier ministre, j’ai moi-même essayé avec son père. Mais nous n’y sommes pas parvenus parce qu’il exigeait que toutes ses demandes soient satisfaites, avant même l’ouverture des négociations.

Il en avait fait une condition préalable. C’était inacceptable. Par la suite, nous avons plusieurs fois essayé de voir s’il pouvait exister une opportunité avec son fils Bachar. Maintenant, il est trop tard. Même s’il survit, il n’aura plus la légitimité et le pouvoir ne serait ce que pour seulement participer aux négociations ou prendre les décisions nécessaires à l’établissement de la paix. En tant qu’ancien Chef du renseignement, je pense qu’il est fini. Il va y avoir du nouveau. Et du fait qu’il a perdu sa capacité à apporter la paix, je ne vois aucun problème à ce que quelqu’un d’autre prenne le pouvoir pour probablement établir un meilleur régime.

Propos recueillis par
Christian Malard
(2019)

Ehud Barak, Premier ministre
Ministre de la Défence de l’État d’Israël