Quand Victor Hugo parlait des États-Unis d’Europe, il était en avance de 130 ans. Quand Jean Monnet a fondé le Comité des États-Unis d’Europe, il était en avance d’1/4 de siècle. Quand certains, comme Pierre Pflimlin, Maurice Faure, moi-même, avons continué d’oeuvrer pour achever le marché commun agricole, nous étions peut-être en avance d’une décennie. Mais nous parlons aujourd’hui et nous ne sommes plus en avance.
Il est encore temps, il n’est que temps !…
Les Institutions : l’Union européenne, c’est l’union politique, c’est évidemment un certain type de structures fédérales. Il faut à l’Europe un Président élu au suffrage universel. Ce Président des États-Unis d’Europe pourra, et pourra seul, faire entendre sa voix, la nôtre ! Et puis, pour l’exécutif européen, il faut aller vers la création de Ministères européens sur de grands thèmes d’intérêts communs, comme la recherche médicale, l’environnement, les politiques de santé ou de démographie, etc. Ce bond en avant institutionnel, il est nécessaire de l’accomplir et de l’accomplir vite ! Si nous ne le faisons pas, nous n’aurons bientôt d’autres ressources que de nous dire, comme un personnage célèbre de l’histoire et de la dramaturgie : « est-il si tôt trop tard ? ».
La monnaie : si nous voulons que l’Europe économique subsiste, il lui faut dorénavant une monnaie européenne commune. Seule une monnaie européenne sans variation nationale permettra à l’Europe économique, non seulement de subsister, mais de réussir. Seul l’effort unifié, appuyé sur la structure fédérale, avec son symbole monétaire, nous permettra de reprendre la place que nous avons occupée et que nous méritons encore.
La Défense : de même que la monnaie est l’engin indispensable de l’économie, de même la défense et, en particulier, la force nucléaire, est la garantie suprême de la sécurité. De même que la haute technologie de l’industrie conditionne l’économique et le social, de même la haute technologie de l’armement conditionne l’ascendant diplomatique.
La Recherche et la Technologie : c’est devenu un lieu commun que de souligner les retards pris par l’Europe sur les États-Unis d’Amérique et le Japon en la matière. Et c’est d’ailleurs sur ce sujet que le besoin de la création de Ministères européens est le plus aigu…
Un nouvel aménagement du rapport espace-temps à l’échelle de l’Europe : l’avenir de nos sociétés passe par la bipolarité institutionnelle Europe-Régions. Les régions sont les cadres de la solidarité européenne, de la correction des déséquilibres internes des États entre eux, ce qui est la clé de l’intégration communautaire.
Le premier emploi des jeunes : le grand combat de l’Europe de demain, le grand combat du Parlement européen doit être celui qui aboutit à donner un premier emploi aux jeunes. L’Europe et les régions doivent prendre en main l’articulation qui existe entre la formation et la vie.
Le grand problème de la démocratie de cette fin de siècle est le suivant : autrefois, les jeunes savaient ce qu’ils allaient faire, beaucoup étaient agriculteurs ou artisans et faisaient la carrière de leurs pères. Maintenant, beaucoup ne savent pas quel métier ils auront et où ils l’exerceront. C’est dans le cadre régional, mais avec le soutien communautaire que l’on doit résoudre cette équation. J’ai créé dans la région de Franche-Comté, que j’ai l’honneur de présider, un service de l’emploi vocationnel des jeunes qui a pour objet d’éveiller les vocations et de dispenser des formations. Je propose qu’on étende ce système à l’Europe, que l’Europe permette des échanges de jeunes d’une région à l’autre des pays de la Communauté. Que des Francs-Comtois aillent en Bavière, en Toscane et réciproquement. Nous leur aurons donné l’occasion de s’ouvrir à la vie active (qui, comme le disait le philosophe Alain, fait la sortie de l’enfance ), dans un paysage élargi et d’acquérir une conscience européenne. Donnons ainsi à nos jeunes de nouvelles frontières !
L’aide alimentaire : nous sommes devant un paradoxe saisissant : un jour les Anglais se lamentent des surproductions de produits laitiers français, un autre jour, M.Panella s’enchaîne aux fontaines d’Italie parce que des gens meurent de faim dans le monde. Aussi, les régions d’Europe me paraissent-elles devoir, avec l’appui communautaire, mettre à l’étude des formules d’écoulement des produits alimentaires excédentaires vers des régions en pénurie, dans des conditions qui garantiraient l’efficacité de cette aide et des contreparties pour l’avenir. Il s’agirait tout simplement de mobiliser l’Europe sur le combat contre cette absurdité qui est la coexistence d’une misère respectivement au nord et au sud de notre hémisphère.
Edgar Faure