LES DANGERS POUR LA DÉMOCRATIE SONT RÉELS…

Ce qui est important, c’est de reconnaître que la démocratie n’est pas une destination en soi, mais un chemin qui doit être parcouru, en permanence… Et, au risque de mélanger les métaphores, c’est quelque chose qui ne nous est pas acquis, mais pour lequel nous devons toujours être prêts à nous battre.

Les dangers pour la démocratie en 2022 sont profonds. Pour preuve, tandis que cette Organisation, le Conseil de l’Europe, existe pour protéger et promouvoir des normes communes en matière de droits de l’homme, de démocratie et d’État de droit, cette année, pour la première fois, un État membre a été exclu. La Fédération de Russie a, en effet, été écartée du Conseil de l’Europe – par ses confrères – précisément parce qu’elle avait rejeté les principes démocratiques nécessaires et inhérents à l’adhésion. L’agression brutale, illégale et continue de la Russie contre un autre État membre, l’Ukraine, est une violation flagrante de notre Statut. Si la Russie était restée avec nous, l’objectif démocratique de cette Organisation aurait lui-même été sapé.

C’est l’Histoire d’un pays dont le basculement vers la violence a causé de terribles souffrances, avant tout en Ukraine, avec des vies perdues et des moyens de subsistance détruits.

Mais les effets de cette agression se font sentir de bien des manières et dans de nombreux pays, à travers la perturbation des approvisionnements énergétiques dont les gens dépendent, la flambée des coûts et l’inflation qui accompagnent cette perturbation, non seulement dans le domaine de l’énergie, mais aussi dans l’alimentaire et dans bien d’autres secteurs encore. Ajoutons à cela le fait que des pays vivent dans l’incertitude et la peur de devenir eux-mêmes une cible.

Cependant, l’impact ne se limite pas à l’Europe. Lorsque la démocratie échoue, les ondes de choc se propagent au loin et elles font toujours de terribles dégâts. Alors, comment devrions-nous empêcher cela ? Comment faire pour que les Gouvernements choisissent la voie démocratique, en ces temps où ils sont si nombreux à se tourner vers les extrémismes populistes et nationalistes ? Où des pays qui semblaient, il y a encore peu de temps, fermement attachés à la tradition émocratique, aiblissent et s’écartent de ces valeurs ? C’est évidemment une question de volonté politique. Les Élus, les Partis et les Gouvernements doivent s’engager à respecter les normes démocratiques. Cela passe par la tenue d’élections, libres et équitables – et par la reconnaissance du résultat des urnes, mais aussi par le respect du droit des personnes incluant les droits des minorités – et la défense de l’État de droit. Cela suppose aussi d’appliquer ces principes au niveau international, notamment par la coopération multilatérale, pour régler les problèmes transnationaux, auxquels il faut trouver des solutions transnationales, fondées sur des règles.

Mais cela ne va pas de soi. Il ne suffit pas toujours de croire ou d’espérer que les responsables politiques appliqueront ces valeurs de leur plein gré. Surtout lorsque nous voyons si souvent faiblir cette volonté. Je vais donc être claire à ce sujet : la réponse ne viendra pas en s’appuyant uniquement sur les autres. Elle viendra de l’intérieur. Parce que la démocratie, par définition, appartient au peuple. Ceux qui ont le privilège de pouvoir voter doivent en faire usage. Ils doivent user de ce droit pour choisir le type de dirigeants qu’ils veulent et qui défendront les valeurs universelles. Sur le marché des valeurs politiques, les démocrates doivent créer la demande. Mais s’il est essentiel de voter, cela ne suffit pas. Il faut aussi que les citoyens soient actifs. Les droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association sont précieux. S’en servir, c’est les défendre. La société civile est vitale au bon fonctionnement de toute démocratie. Lorsque les citoyens se réunissent, ils peuvent se mettre d’accord sur les changements dont ils ont besoin collectivement et faire advenir ces changements. Plus encore, ils peuvent s’unir et faire campagne pour des causes communes, faire comprendre à ceux qui exercent le pouvoir qu’ils doivent les entendre, faute de quoi ils perdront leurs mandats. Il est facile de se retrancher dans un monde numérique, où la place publique est remplacée par un forum de discussion en ligne, où les voix les plus stridentes peuvent étouffer les débats les plus sensés. Cela dit, la démocratie peut exister aussi dans le monde numérique. Certes, il faut que les États, les organisations internationales et le secteur privé interviennent pour assurer le difficile équilibre entre la lutte contre les discours de haine et la défense de la liberté d’expression. Mais, malgré tout, Internet est quand même un espace où les gens peuvent dirent ce qu’ils pensent et agir ensemble pour faire changer les choses. Alors, utilisons-le pour faire avancer la démocratie ! Que l’on s’exprime en ligne ou dans le monde réel, il faut employer les deux, pour faire entendre sa voix et exiger un avenir meilleur.

Bien des défis se profilent à l’horizon : conflits, pauvreté, changement climatique, sans parler des difficultés que provoquent le déclin économique et les inégalités croissantes. Certains avanceront que la démocratie est incapable d’empêcher tout cela. Mais c’est une vision réductrice des choses.

Nos sociétés ne seront jamais exemptes de problèmes. Ce qui définit chaque génération, c’est la manière dont elle les affronte. C’est précisément la démocratie qui permettra à nos sociétés de trouver la meilleure réponse dans l’intérêt du bien commun.

La démocratie peut être le moyen de bâtir des sociétés plus fortes, dans lesquelles les gens peuvent s’entraider et où chacun a la possibilité de prospérer.

Allocution de Marija Pejčinović Burić, Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, lors de la 42ème Session sur la guerre en Ukraine.

Marija Pejčinović Burić
Secrétaire générale
du Conseil de l’Europe