Entretien avec S.E.M. Marc Ungeheuer
Ambassadeur du Luxembourg en France.

La France et le Luxembourg partagent un long passé d’amitié qui remonte au Moyen-Âge. Comment aujourd’hui définiriez-vous cette amitié franco-luxembourgeoise ?

Nos relations sont excellentes et je prendrai deux sujets pour illustrer mes propos, le dossier européen et les relations bilatérales.

Sur l’Europe, nos deux pays regardent dans le même sens, sur son futur, son développement. Nous croyons en une Europe des valeurs, à une Europe ouverte au monde, mais qui, dans le même temps, défend son autonomie stratégique, la nécessité d’une réindustrialisation et la limitation de nos dépendances envers l’extérieur. Le Luxembourg est, comme la France, favorable à un futur élargissement. Le Luxembourg soutient l’Ukraine face à la guerre d’agression de la Russie. Sur tous les grands sujets qui, pour le moment, sont sur la table de l’Europe, et qui sont reflétés dans ce fameux agenda stratégique, nous sommes sur la même ligne que la France.

Quand vous parlez d’élargissement, vous pensez à quels pays précisément ?

Aux pays des Balkans, à l’Ukraine, à la Moldavie et la Géorgie une fois qu’elle reviendra dans le giron des valeurs auxquelles je me suis référé.
Dès que ces pays rempliront les conditions – et on ne peut pour le moment fixer de dates concrètes – il faudra les accueillir. Pour cela, nous devons leur permettre de remplir ces modalités, c’est-à-dire les aider. Mais pour nous, l’élargissement est nécessaire aussi d’un point de vue stratégique pour l’Europe.

L’arrivée du nouveau Gouvernement au Luxembourg en novembre 2023, a-t-il changé les orientations ou les attentes françaises ?

Non, le Luxembourg est un pays très stable, dans le sens où il n’y a jamais eu un Gouvernement qui a changé sa politique européenne.
Nous sommes très pro-européens. Nous avons besoin de l’Europe, d’un marché intérieur qui fonctionne bien. Si les frontières se ferment notre système économique et social sera ébranlé.
On dit que la vie politique de mon pays n’est pas assez intéressante, qu’elle est trop consensuelle. Ce n’est pas vrai sur tous les sujets, mais sur l’Europe, elle est consensuelle et transpartisane !

Concernant les relations bilatérales, quels sont les sujets sur la table ?

Le dossier transfrontalier domine très clairement. 120 000 Français traversent quotidiennement la frontière pour aller travailler au Luxembourg.
Nous avons choisi le modèle de la coopération pour gérer au mieux les intérêts de ces travailleurs, mais aussi les intérêts des citoyens qui habitent dans ces régions avec les problématiques de mobilité, de développement des infrastructures qui se posent. Des projets sont élaborés en commun, c’est ce qu’on appelle le co-développement, c’est-à-dire des thématiques qui se situent du côté français de la frontière et dont nous prenons en charge la moitié des frais.
Cela concerne tout d’abord les lignes de chemin de fer, mais aussi les lignes de bus à haut niveau de service, des constructions de gares ou d’ateliers à Metz.

Il existe également une coopération transfrontalière dans le domaine de la santé, dans le domaine de l’environnement, de la culture, etc.
Parfois des dossiers complexes surgissent parce que personne ne les a anticipés. À titre d’exemple, le télétravail qui est apparu avec la Covid. Nous avons tout de suite trouvé des solutions, toutes les règles qui s’appliquent normalement ont été exemptées, il n’y a eu aucun problème.
La France n’a jamais vraiment fermé ses frontières avec le Luxembourg. L’entente a été très bonne. Désormais les gens ont pris l’habitude de faire du télétravail, c’est tout à fait normal, mais ce sont les règles de l’OCDE qui s’appliquent, elles sont claires : les personnes sont imposées et paient leurs charges sociales là où elles travaillent. Donc nous avons trouvé une solution : les Français peuvent faire leur télétravail dans un maximum de 34 jours par an en France tout en restant imposés au Luxembourg.
Pour la sécurité sociale, une solution au niveau européen a été trouvée – une coopération renforcée – mais certains pays seulement participent, dont le Luxembourg et la France. Le remboursement est à hauteur de 49% en matière de sécurité sociale et cela fonctionne très bien.

En matière d’infrastructures, une ligne de train est-elle prévue ?

Non, il n’y a pas de nouvelle ligne de train, les gares ont été élargies pour permettre d’installer des rames beaucoup plus longues des deux côtés de la frontière. Des discussions sont en cours pour une ligne qui, de Sarrebruck en Allemagne passerait à travers la France vers le Luxembourg. Nous n’en sommes qu’aux prémices. C’est à la grande région de déterminer le tracé. Il faut comprendre les communes qui sont intéressées à ce que le train passe par leur commune.

Comment les interactions se réalisent-elles entre les deux pays ?

Une conférence intergouvernementale se réunit une fois par an au niveau ministériel. Pour le Luxembourg c’est le Ministre des Affaires étrangères qui a la responsabilité et en France, c’est traditionnellement le Ministre des Affaires européennes. Donc, la dernière conférence intergouvernementale était avec Laurence Boone, et il aurait dû y en avoir une en automne avec M. Barrault. Mais désormais c’est en attente du nouveau Gouvernement français…

Au niveau des Administrations, c’est notre Directrice générale des Affaires européennes et moi-même en tant qu’Ambassadeur comme du côté français madame l’Ambassadeur de France au Luxembourg et le Préfet de Moselle qui avons été chargés de remplir ce rôle-là, par les Autorités françaises.
Cette rencontre, au niveau haut-fonctionnaires, aurait dû avoir lieu le 8 juillet. Pour le moment nous sommes en attente. Nous espérons que cette conférence intergouvernementale ait lieu avant la fin de l’année, parce qu’il y a des grandes décisions à prendre, à titre d’exemple en matière de santé dans laquelle nous coopérons aussi.

De quelle manière cette coopération va-t-elle se manifester ?

Il s’agit de trouver des solutions pour que, non seulement les travailleurs transfrontaliers, mais aussi les citoyens qui habitent du côté français, puissent, par exemple, consulter, en tout cas pour certaines maladies, des médecins luxembourgeois. À cause des déserts médicaux, ils doivent aller parfois très loin. Le Luxembourg a la même situation que Paris donc bénéficie de plus de médecins proportionnellement parlant.

Quels sont les principaux atouts économiques du Luxembourg pour les Français et inversement de la France pour les Luxembourgeois en matière notamment économique, d’investissements ?

Le grand avantage du Luxembourg actuellement, réside dans sa stabilité politique et financière. Les investisseurs apprécient.
En matière de numérique, dans le secteur technologique, le Luxembourg est très avancé avec de bonnes conditions de travail pour les entreprises. Nous favorisons beaucoup les entreprises qui investissent dans la recherche.
Dans le secteur financier, le secteur bancaire continue à bien fonctionner. La Grande-Bretagne, traditionnellement leader, a perdu des parts de marchés après le Brexit.
Les grandes entreprises, les grands acteurs du domaine financier se sont plutôt installés à Paris, moins vers Luxembourg. Le Luxembourg a surtout attiré des entreprises dans le secteur des assurances et des réassurances après le Brexit.

Le Luxembourg est accueillant avec les travailleurs étrangers, pour quelles raisons ?

Le Luxembourg a presque 48% d’étrangers dans sa population. Nous sommes très ouverts à engager des personnes de n’importe quelle nationalité s’ils sont compétents, s’ils apportent quelque chose à notre économie. Tout le monde parle les trois langues, anglais, français et allemand, à côté du luxembourgeois, ce qui est un énorme avantage pour les grandes entreprises.
Les travailleurs peuvent souvent parler l’une des trois.
Aujourd’hui, l’anglais prend le leadership dans le secteur de la finance, même si, les banques françaises et allemandes restent quand même, en tout cas partiellement, dans leur langue natale, ce qui constitue toujours un avantage pour Luxembourg qui n’hésite pas à recruter des gens de tous les pays.

Vous avez aussi une politique d’accueil des réfugiés qui viennent de la Méditerranée…

Le Luxembourg est l’un des pays avec Chypre et Malte, qui accueille le plus de réfugiés par habitant.
Mais nous sommes des petits pays et le problème du logement se pose pour les nouveaux arrivants. Comme dans toutes les métropoles économiques qui fonctionnent bien, vous avez un problème de logements. Les prix sont en train de monter également.

Quels sont les attraits du Luxembourg pour les Français ?

Comparé à la France, contrairement à ce qu’on dit, l’avantage des entreprises ne se situe pas dans le domaine fiscal, mais dans le domaine des charges sociales qui sont beaucoup plus basses au Luxembourg qu’en France même si les salaires sont plus élevés. C’est pour cette raison que les gens viennent travailler au Luxembourg et effectivement, la mobilité, c’est quand même un problème pour ces personnes.

Et concernant les attraits de la France vus de votre pays ?

Les entreprises luxembourgeoises sont intéressées dans certains domaines où la France est extrêmement compétitive. De grands bureaux d’avocats spécialisés dans le secteur financier viennent s’établir à Paris. Cette coopération récente s’accroît de plus en plus.

Et évidemment, dans la haute technologie, les start-up. Les Luxembourgeois participent aux salons dans ces domaines afin de trouver des partenaires français. Une nouvelle coopération est en train de démarrer. L’autre secteur que je pense prometteur est celui de la Défense. Il faut bien comprendre que le Luxembourg n’a jamais eu d’industrie de défense.

Nous étions toujours assez loin des 2% du PIB pour l’OTAN, mais nous sommes en train de nous en rapprocher et avons mis en place un plan pour l’atteindre avant la fin de la décennie. Évidemment, nous soutenons l’émergence d’une industrie de la défense au Luxembourg. Et là, il y a une vraie coopération avec les Français. Le Luxembourg s’est engagé à acheter des chars et des armes de défense, des réseaux de communication, pour plus de 2 milliards d’euros. En contrepartie, des sous-traitants luxembourgeois devraient être sélectionnés.

Le Luxembourg n’est pas vu pour la majorité des Français comme destination touristique. Vous commencez justement à communiquer à ce sujet. Quels sont vos atouts ?

Paris se situe à 2h20 de Luxembourg de gare à gare. Vous arrivez en plein centre de Luxembourg Ville. D’autres lignes viennent de Strasbourg notamment. Nous souhaitons en effet accueillir des touristes français. Notre gastronomie avec dix restaurants étoilés et nos vignobles commencent à être reconnus. En matière de patrimoine, nous avons des châteaux forts qui datent du Moyen-Âge. Les fortifications de Vauban sont même assez spectaculaires, de même que d’anciens vestiges industriels ou la visite des mines de fer. Et la nature reste un atout indéniable avec des pistes cyclables parfaitement aménagées…
Le Luxembourg mérite bien une visite !

Propos recueillis par
Patricia de Figueirédo

S.E.M Marc Ungeheuer

Ambassadeur du Luxembourg en France