Le Social à l’international :
guerre ou solidarité mondiale ?

Tandis que les rêves de vie meilleure des migrants en provenance d’Afrique viennent mourir sur nos côtes, et que nous sommes confrontés à un flux ininterrompu de population, que faire ? Souvenons-nous… Avions-nous pris conscience de l’ampleur du phénomène avec Lampedusa ? De quoi s’agissait-il ? Et de quoi ce nom reste-t-il toujours le symbole ? Du symptôme d’une mondialisation injuste, maladie qui fait de la Méditerranée le plus grand cimetière marin de ce début de XXIème siècle.

Comment réagissons-nous ? Nous parlons de redéfinir l’espace Schengen, construire de nouveaux camps, comme si le sujet était de nature européenne. Une fois de plus, la misère des autres ne nous sert qu’à parler de nous. Pendant ce temps, nous laissons les Italiens, seuls, déployer des gardes côtes toujours plus nombreux. Mais combien en faudra-t-il, dès lors qu’un continent tout entier frappe à nos portes ?

Faire croire que ce type de problème peut être réglé par des lois contre l’immigration ou par des aides matérielles à quelques pays est grossier autant que dérangeant. Le vrai problème est que la plupart des pays donateurs occidentaux traversent une crise financière grave. Il est de plus en plus difficile de perfuser le continent africain, dont les besoins augmentent à mesure que nos ressources diminuent.

Comment penser un seul instant
que le XXIème siècle sera pacifique ?
Si les mondialisations de l’économie et
de la communication sont accomplies,
la mondialisation de la solidarité
reste à inventer…

L’Afrique a le taux de pauvreté le plus élevé au monde avec 47,5% de la population vivant avec moins d’1,25 dollar par jour. Derrière ce chiffre, une réalité : les trois pays de la Corne de l’Afrique que sont l’Ethiopie, la Somalie et le Soudan, largement marqués par la guerre, comptent à eux seuls 138 millions de personnes vulnérables à la famine. La malnutrition, les pandémies et le manque d’éducation font de ces populations des candidats à l’exil ou à l’extrémisme. Quant au changement climatique, il risque de pousser 50 millions de personnes parmi les plus pauvres et les plus vulnérables de la planète dans la faim et de fragiliser les progrès accomplis dans la lutte contre les grandes pandémies et pour la santé globale.

Une autre voie est possible… Elle passe par les Financements innovants pour le Développement. Il y a, en effet, aujourd’hui les moyens de financer les enjeux du développement humain que sont la santé ou l’éducation. Car, si les flux économiques ont changé de physionomie ces dernières décennies, certaines activités économiques bénéficient toujours largement de la mondialisation, sans avoir à rendre aux hommes ce qu’elle leur doit.

Créer ces nouvelles voies économiques pour fournir les Biens Publics Mondiaux – nourriture, eau potable, droit à la santé, à l’éducation et à l’assainissement – aux deux milliards d’extrêmes pauvres dans le monde, voilà, à mes yeux, le vrai message qu’avait créé ce drame de Lampédusa, mais qui reste, année après année, d’une extrême actualité.

L’extrême pauvreté est source
de sentiments d’injustice, de colère et
ainsi d’extrémisme pouvant menacer
la paix dans le monde. En 2050,
c’est soit la guerre mondiale,
soit la solidarité mondiale !

Ne pas répondre à cet appel serait renoncer à tout engagement politique. Et à ceux qui ne voient dans ces flux migratoires grossissant qu’une conséquence des conflits, qu’ils soient persuadés que l’extrême pauvreté, la violence et les conflits sont intimement liés. Nous avons commencé à le faire en France avec Unitaid, lorsque j’en étais le Président. Cette organisation permet de façonner les marchés pour rendre les médicaments abordables dans les pays en développement, par le biais de la taxe sur les billets d’avion, rapidement rejointe par douze autres pays.

Depuis, plus de deux milliards de dollars ont été levés de manière totalement indolore, permettant de traiter 8 enfants sur 10 déjà soignés, contre le Sida dans le monde, 550 millions d’êtres humains contre le paludisme, qui tue encore un enfant toutes les 40 secondes ! Nous ne devons pas en rester là : ce que nous avons prouvé avec la taxe sur les billets d’avion, nous devons le continuer avec la taxe sur les transactions financières (TTF). Il s’agit, sans aucun doute, du meilleur moyen de faire avancer de manière significative la solidarité internationale.

La première victoire a été la création d’une TTF en France en Mars 2012. Après deux ans de négociations, l’accord sur cette contribution de solidarité minuscule sur les transactions financières – de l’ordre de 0,1% sur les actions et 0,01% sur les dérivés – ne cesse de se heurter à des obstacles et des reports. Selon la Commission européenne, ce prélèvement devrait rapporter 35 milliards d’euros par an. Si elles sont investies intelligemment, ces sommes peuvent changer l’avenir de millions de personnes en Europe et dans le monde. À l’époque, le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, avait annoncé qu’il soutenait la proposition du Président de la République François Hollande d’affecter une partie des recettes de la TTF européenne aux grandes urgences mondiales. Puis les choses se sont enlisées et certains ont pu parler d’un serpent de mer, qui revenait, pourtant, régulièrement, sur le devant de la scène.

Nous, citoyens européens engagés dans le combat contre les inégalités, les appelons à investir dans l’avenir et à mettre en place une TTF européenne ambitieuse et solidaire, pour financer les biens publics mondiaux, au premier rang desquels l’accès à la santé, à l’éducation à l’eau et pour lutter contre le changement climatique.

Nous, citoyens européens
engagés dans le combat contre
les inégalités, les appelons à
investir dans l’avenir et à mettre
en place une TTF européenne
ambitieuse et solidaire.

De la même manière, après plusieurs années de discussion, nous avons convaincu plusieurs chefs d’État africains de mettre en place une infime contribution de solidarité sur les ressources extractives (pétrole, gaz et mines) pour lutter contre la malnutrition qui touche plus de 32% des enfants africains et du Sud-est asiatique et dont les conséquences cérébrales expliquent la plupart des retards scolaires des pays en développement. Ici, la contribution est encore plus petite : 0,001.%. Et si les raisons éthiques ne suffisent pas à justifier notre action, considérons la réalité économique mondiale : tous les économistes s’accordent pour dire que le traitement de la malnutrition permettrait de doubler, au moins, la croissance du continent africain.

Comment penser un seul instant que le XXIème siècle sera pacifique, dès lors que près de 2 milliards d’individus – dont près de 75% ont moins de 20 ans – vivent sans rien, à quelques kilomètres de nous et que 1/5 de l’Humanité se partage 4/5 des richesses ? Tout cela a une fin. Ceci avait d’ailleurs conduit le Président Lula à dire : « La vrai bombe atomique, c’est la faim ! ». Si les mondialisations de l’économie et de la communication sont accomplies, la mondialisation de la solidarité reste à inventer. Au nom des Droits de l’Homme bien sûr, mais aussi sur le plan politique, quand on sait combien l’extrême pauvreté est source de sentiments d’injustice, de colère et ainsi d’extrémisme, pouvant menacer la paix dans le monde. En 2050, c’est soit la guerre mondiale, soit la solidarité mondiale. C’est pour cela qu’en 2019, le drame humain de Lampedusa reste, plus que jamais, d’actualité…